NATHALIE
Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. Une étrangère avait pris ma place. En quelques semaines, elle m’avait effacée. Une créature aux yeux affolés me regardait désormais dans le miroir. Et j’avais peur. Tellement peur. Je ne savais pas encore que cette terreur serait désormais la compagne de ma vie. Je ne savais pas que la jeunesse, l’insouciance, la fougue ne reviendraient jamais. Je ne savais pas que chacun de mes pas serait désormais mesuré, méfiant, craintif, traqué. Je ne savais pas que j’allais me priver de tous ceux que j’aimais. Je ne savais pas que j’allais lâcher sans même m’agripper chacune de mes passions. Je ne savais pas que j’allais m’emprisonner volontaire. Un jour, la maladie a eu un nom.
NATHALIE - Troubles obsessionnels compulsifs. Troubles anxieux profonds. La différence entre ces troubles et la plupart des maladies mentales, c’est que la personne atteinte est totalement consciente de l’absurdité de ce qu’elle pense et fait. La « toquée » sait qu’elle déraille. En nommant le mal, on me faisait cadeau d’une marque que peu m’envieraient, mais qui était affichée, dite, énoncée, nommée. Les mots ont un tel pouvoir... ça, je l’avais toujours su. Soulagement. C’est ce que j’ai d’abord éprouvé. En posant une étiquette, on me repositionnait dans le réel. Je reprenais place dans le monde, une place douloureuse et inconfortable, certes, mais concrète. Et puis... si c’est une maladie, ça se soigne, non? On répare les rails, et on repart, même pas de traviole si ça se trouve.
NATHALIE - J’ai su dès le premier jour quand à ton tour tu as été atteinte. Tu portais la marque. Tes mains n’étaient pas rongées par les lavages incessants, non. C’est ton corps tout entier qui s’effaçait. Et tes yeux étaient déjà ailleurs.